Eternels réfugiés en Jordanie
Le visage est sombre malgré le sourire bienveillant. Mourad, 39 ans, nous accueille chez lui, dans le salon coquet de sa maison située dans le camp de réfugiés palestiniens d'Al-Wehdat, à Amman, en Jordanie où il vit avec sa femme et ses quatre enfants âgés de 4 à 13 ans. La veille, il a appris le décès de 14 membres de sa famille, un oncle et ses proches, dans un bombardement israélien à Gaza. Assis sur le canapé, il ne lâche pas son téléphone, attendant les nouvelles régulières que lui envoie sa mère. "Que pouvons-nous faire ? Nous devons être forts", souffle-t-il fatigué, entre deux gorgées de café. Mourad comme d'autres réfugiés palestiniens suivent de très près les nouvelles provenant de Gaza. Dans toutes les maisons et les magasins, Al-Jazeera, la chaîne qatarienne diffuse en boucle du matin au soir, les images de blessés, de morts et de bombardements israéliens.
Mourad travaille avec son frère au marché d'Al-Wehdat. Ils tiennent ensemble une petite échoppe de fruits et de légumes, une activité économique qui permet à toute la famille de vivre et de sortir au moins une fois par semaine, le jeudi soir pour manger ensemble un Shawarma (sandwich de viande). Ils font partie des quelque 2,3 millions de réfugiés palestiniens vivant en Jordanie, selon l'Unrwa (L'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient). Leur installation fait suite aux vagues successives d'exode de palestiniens de 1948 suite à la Nakba (la catastrophe, en arabe) et de 1967 suite à la Naksa (la rechute, en arabe). A ce jour, une dizaine de camps de réfugiés sont répartis dans tout le royaume Hachémite, mais tous les Palestiniens n'y résident pas. Beaucoup ont d'ailleurs obtenu la citoyenneté jordanienne.
Les traumatismes de 1948 et de 1967 et les exodes qui ont suivis sont inscrits dans la mémoire familiale et se transmettent de générations en générations. "Je me sens à la fois Palestinien et Jordanien", explique Mourad. Dans les maisons, il y a souvent accroché au mur, des images de la mosquée d'Al-Aqsa et du dôme du Rocher, connu pour son toit doré, haut lieu musulman à la fois sacré et symbolique de Jérusalem où beaucoup de Palestiniens de Jordanie rêvent d'aller un jour prier. Réfugiés de père en fils et de mère en fille, la plupart n'ont jamais mis les pieds en Palestine et ne connaissent de la terre de leurs ancêtres que les récits de la famille et les actualités. "Notre vie est ici en Jordanie, nous aimerions bien sûr aller en Palestine, mais aujourd'hui, ce n'est pas possible", confie Mourad.
Eternal refugees in Jordan
The face is dark despite the benevolent smile. Mourad, 39, welcomes us to his home, in the stylish living room of his house located in the Al-Wehdat Palestinian refugee camp, in Amman, Jordan, where he lives with his wife and four children aged 4 to 13 years. The day before, he learned of the death of 14 members of his family, an uncle and his relatives, in an Israeli bombing in Gaza. Sitting on the sofa, he doesn't let go of his phone, waiting for the regular news sent to him by his mother. "What can we do? We must be strong" he breathes tiredly, between sips of coffee. Mourad, like other Palestinian refugees, follows news from Gaza very closely. In all homes and stores, Al-Jazeera, the Qatari channel, broadcasts on a loop from morning to evening, images of wounded, dead and Israeli bombings.
Mourad works with his brother at Al-Wehdat market. They run a small fruit and vegetable stall together, an economic activity that allows the whole family to live and go out at least once a week, on Thursday evening to eat a Shawarma (meat sandwich) together. They are among some 2.3 million Palestinian refugees living in Jordan, according to UNRWA (The United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East). Their installation follows the successive waves of exodus of Palestinians in 1948 following the Nakba (the catastrophe, in Arabic) and 1967 following the Naksa (the relapse, in Arabic). To date, around ten refugee camps are spread throughout the Hashemite kingdom, but not all Palestinians live there. Many have also obtained Jordanian citizenship.
The traumas of 1948 and 1967 and the exoduses that followed are inscribed in family memory and passed down from generation to generation. "I feel both Palestinian and Jordanian," explains Mohammed. In the houses, there are often hanging on the wall, images of the Al-Aqsa mosque and the Dome of the Rock, known for its golden roof, a high Muslim place both sacred and symbolic of Jerusalem where many Palestinians from Jordan dreams of one day going to pray. Refugees from father to son and mother to daughter, most have never set foot in Palestine and only know the land of their ancestors from family stories and current events. ? Our life is here in Jordan, we would of course like to go to Palestine, but today, that is not possible," confides Mourad.