SOPHIE INFIRMIERE LIBERALE A LA CAMPAGNE
Sophie, infirmiere de campagne
Sophie, infirmiere liberale de 53 ans, annonce tout de suite la couleur « il ne faudra pas trainer pour enlever sa ceinture et sortir de la voiture a chaque arret, les minutes sont comptees, nous avons 34 patients a voir ce matin, et presque une vingtaine ce soir ». A 7h30, sa chienne Paulette sur les genoux, les Stooges en fond sonore, son carnet de rdv et son portable toujours a portee de main, Sophie demarre une journee de travail qui ne s achevera pas avant 21h00.
La semaine de 35h, elle ne connait pas et elle ne veut pas en entendre parler. Elle a grandi dans une famille ou pere et mere travaillaient dans le medical. Malgre 4 enfants a elever, ils ont reussi a conjuguer vie familiale epanouie et engagement total dans leur metier.
Apres une premiere experience professionnelle en tant que bibliothecaire, elle tente le concours d infirmiere sur conseil de ses parents, sans preparation. Surprise, elle l obtient du premier coup. S en suivent 3 annees d etudes passionnantes, ou elle prend gout a apprendre le metier d infirmiere, contrairement a ces reticences initiales.
Apres des experiences en tant qu infirmiere en hopital puis de coordinatrice dans une maison de retraite, une opportunite se presente a elle. On lui propose de remplacer l ancienne directrice de la maison de retraite dans laquelle elle travaille elle accepte immediatement. Pendant 5 ans, elle contribue a faire evoluer la structure, a la mettre aux normes, a recruter une equipe plus importante. Au bout de 5 ans, elle est licenciee abusivement suite a la vente de la structure a un groupe medical cherchant la rentabilite avant tout. Il fallait meme « mesurer la taille des parts de fromage de la cantine ».
Le choix de s installer en liberal se fait apres avoir rencontre une infirmiere travaillant a son compte qui lui
propose d effectuer des remplacements. Apres cinq ans, elle decide elle aussi d ouvrir son propre cabinet, ce sera dans une petite ville d Auvergne, Gannat, situee pres de Vichy. Elle y exerce depuis 2007. Travailler en zone rurale est un choix.
Elle prefere le rythme de vie, les relations humaines qu on peut y nouer avec les patients, les commercants, les voisins.
Elle est d ailleurs conseillere municipale de sa commune. La proximite avec la nature et la beaute des paysages de l Allier sont une autre composante importante de ce choix.
Il est 7h40, Sophie commence sa tournee chez un couple age de 75 ans environ, le mari est diabetique et elle doit donc verifier son taux de glycemie et la bonne prise des medicaments. Chez certains patients, la visite dure seulement deux minutes, pour d autres, selon les pathologies et les soins a effectuer il faut plus de temps. D autres encore ont besoin d etre reconfortes ou de parler tout simplement. Sophie prend alors le temps necessaire, ecoute, rassure, tient une main, serre dans ses bras une patiente... Vers 14h sa tournee du matin s acheve, elle passe alors a son cabinet. Des patients s arretent prendre un rdv. Elle grignote un sandwich prepare par son mari tout en gerant l administratif.
Le metier d infirmiere lui offre une « liberte relative ». Une liberte qu elle n aurait pas en travaillant « dans un bureau ou dans un service ». Elle aime la part d imprevu inherente a son metier, le choix d effectuer sa tournee comme elle l a decide. Chaque apres-midi, elle prend une pause d une heure pour aller marcher dans la campagne avec Paulette avant de reprendre sa tournee du soir.
Le contact direct avec les gens, « qu il soit facile, difficile, plaisant ou deplaisant », l encourage dans ce metier souvent pesant ou l on doit s effacer en tant que personne pour se consacrer exclusivement au mieux-etre du malade.
Sophie affirme gagner un salaire convenable a condition de travailler au rythme ou elle travaille, entre 50 et 70 heures par semaine. Si elle travaillait moins, elle ne pourrait pas se permettre d avoir une remplacante, ni une secretaire. Elle doit encore tenir 15 ans avant sa retraite, qu elle pourra prendre a 68 ans.
Le metier d infirmiere liberale est cependant en sursis d apres Sophie. Les maisons de sante, « seule reponse a la desertification des medecins » sont survalorisees par les politiques publiques qui essayent d eliminer les autres formes de prise en charge en zone rurale.
La Securite Sociale tente aussi de reduire les prises en charge des soins. Apres 20h certains soins comme les perfusions sont consideres comme de la « convenance personnelle » et ne sont plus rembourses. Mais comment un pere de famille peut-il profiter de ses enfants si on lui pose une perfusion des 18h ? Sophie continue donc a effectuer les soins aux horaires qui conviennent le mieux a ses patients quitte a ne pas facturer la majoration de nuit. Les proches des patients, elegamment nommes « aidants naturels » par l administration, sont egalement de plus en plus sollicites pour realiser certains soins a la place des professionnels de sante. La notion de proche, etre aime et aimant, prend alors une toute autre nature lorsqu il s agit de faire la toilette quotidienne, d administrer des medicaments ou de refaire des pansements a sa femme, son pere ou sa soeur malade. Presents 7 jours sur 7, ils n ont pas de remplacants et deviennent des soignants avec toutes les consequences que cela peut avoir sur leur vie personnelle
mais egalement sur la detection d eventuelles evolutions de la maladie...
Il est 21h15, la Jeep blanche de Sophie franchit le portail de la maison familiale. Avec Paulette a ses cotes, elle retrouve son mari Michel qui a prepare le diner. Malgre des metiers prenants, ils prennent le temps de cuisiner et de se faire plaisir. Au menu ce soir terrine de saumon et pot-au-feu accompagne d un bon verre de vin.
Demain, Sophie reprendra une nouvelle fois la route pour aller soigner le corps mais aussi l ame de ses patients et de leurs proches, se hatant de maison en maison mais prenant le temps qu il faut avec chacun.
Une vie professionnelle menee tambour battant qu elle ne compte pas arreter de si tot ou alors « a 65 ans si je gagne a l Euromillions » !