Une Vie de Chamelier
Au coeur des monts enneigés du Tian Shan, loin de l'abondance des villes, une famille de chameliers continue à mener son rythme de vie loin du monde. Entre nostalgie du kolkhoze et volonté d'émanciption, cette série est une ode à la vie pastorale permise par une nature omniprésente. Dans un pays où l'agriculture représente 18% du PIB et emploie près de la moitié de la population active, le Kirghizistan fait figure d'exception en revenant progressivement à ses us et coutumes nomades depuis son indépendance en 1990.
Amoureux des grands espaces, là où les steppes sont encore vierges de tout façonnement humain, Bolotbaike et Kendjebaike mènent une vie retirée en communion avec leurs chameaux.
Estimé pour son endurance et son adaptation aux conditions extrêmes, le chameau de Bactriane est utilisé comme animal de bât mais également pour sa viande, sa graisse, et son lait.
Entre décembre et janvier les températures peuvent atteindre les -40°C. Un froid glacial loin d'effrayer le plus âgés des deux bergers, Bolotbaike, seul à gérer les quinze chameaux durant l'hivernage.
Son rythme de vie est réglé à la lumière du jour : il nourrit son troupeau tôt le matin et juste avant le coucher du soleil. Un puits de fortune, creusé au-dessus d'une source d'eau douce, lui permet de boire et faire sa toilette. Dans une pièce du refuge, il stocke de la viande de cheval et de mouton qu'il cuisine ensuite en ragoût. Quant à l'électricité, elle est amenée par des panneaux solaires qui alimentent ses quelques luminaires dès la tombée de la nuit.
Bolotbaike aime ce mode de vie : « C'est une vie que j'ai choisi. J'aime être seul au milieu des montagnes, c'est un sentiment extraordinaire. Et puis les chameaux sont de bonnes bêtes, moins dépendantes que les moutons. ». A l'entrée du refuge, un miroir, un rasoir et des brosses à dents : « c'est tout ce que j'ai ici ». Bolotbaike vit avec quelques habits et sans papiers d'identité : « pas besoin » semble-t-il dire. Le lendemain matin il demande : « Est ce que les Français rêvent aussi ? »
Divorcé depuis huit ans, celui-ci se laisse rêver de partager sa vie avec une autre. Malheureusement les rencontres sont plutôt rares dans le Tian Shan. Toutefois il peut être confiant : au Kirghizistan, dire à une dame qu'elle a des « yeux de chameaux » est un très beau compliment...
Plus bas dans la montagne, son ami Kendjebaike part de sa maison familiale pour lui rendre visite à cheval. Une fois par mois, à travers les vastes steppes enneigées, il effectue ce trajet périlleux pour ravitailler son camarade.
Chamelier depuis quatre générations, Kendjebaike est le benjamin d'une famille de quatorze enfants. Il entretient l'héritage familial sous le regard attentif de sa mère Latiypa, avec qui il partage la maison familiale et sa femme Perizat, son fils ainé Toko et sa fille Nurayim.
En 1991, le satellite kirghize a quitté l'orbite soviétique. Pourtant, si le pays renoue avec ses traditions nomades depuis son indépendance, le retour à la privatisation des terres, loin de la promesse soviétique, n'a pu empêcher l'isolement économique du monde rural.
Passé par l'armée de 1982 à 1985, le père de famille se rappelle le temps des kolkhozes : « À l'époque, il y avait du travail pour tout le monde. Aujourd'hui c'est beaucoup plus compliqué d'en trouver ! ». Le sovkhoze, qui promettait d'abolir l'isolement économique des nomades grâce à des systèmes de coopératives agricoles, n'existe plus et la privatisation des terres depuis 1991 a entrainé un chômage massif dans tout le pays : « ça a été très dur », se rappelle-t-il.
Pour sa mère, autrefois « Mère - Héroïque » - distinction décernée par le régime soviétique à toutes les mères de dix enfants ou plus - le bétail est un élément de prestige social qu'il faut savoir entretenir.
Il y a trois ans, Bolotbaike et Kendjebaike commencent la production de lait de chamelle. A l'inverse de son cousin beige du désert, seul le chameau brun à poils longs qui se nourrit dans la montagne produit du lait riche en protéines, à fort potentiel antimicrobien. Les deux hommes revendent leur production au chaman de la région pour une utilisation médicinale et thérapeutique. Toutefois l'animal ne produit que tous les deux ans en très petite quantité. Un travail fastidieux avec le temps que les deux amis vont continuer à réaliser durant ses prochaines années.
Entre nostalgie du kolkhoze et quête de liberté, Bolotbaike et Kendjebaike perpétueront aussi longtemps que possible cette
vie pastorale solitaire et précieuse.
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Camel Shepherd
In the heart of the snowy Tian Shan mountains, far from the abundance of cities, a family of camel drivers continues to lead its rhythm of life far from the world. Between nostalgia for the kolkhoz and desire for emancipation, this series is an ode to the pastoral life allowed by an omnipresent nature. In a country where agriculture represents 18% of the GDP and employs nearly half of the active population, Kyrgyzstan is an exception by gradually returning to its nomadic habits and customs since its independence in 1990.
Apprized for its endurance and adaptation to extreme conditions, the Bactrian camel is used as a pack animal but also for its meat, fat and milk.
Between December and January temperatures can reach -40°C. An icy cold far from frightening the older of the two shepherds, Bolotbaike, the only one to manage the fifteen camels during the winter.
His rhythm of life is regulated in daylight: he feeds his herd early in the morning and just before sunset. A makeshift well, dug above a fresh water source, allows him to drink and wash himself. In a room in the shelter, he stores horse and sheep meat which he then cooks into a stew. As for electricity, it is supplied by solar panels that power his few light fixtures at nightfall.
Bolotbaike likes this way of life: «It is a life I have chosen. I like being alone in the middle of the mountains, it?s an extraordinary feeling. And camels are good animals, less dependent than sheep. ».
At the entrance of the refuge, a mirror, a razor and toothbrushes: «it?s all I have here». Bolotbaike lives with a few clothes and
no identity papers: «no need» it seems to say. The next morning he asks: «Do European people dream too? »
Divorced for eight years, he lets himself dream of sharing his life with someone else. Unfortunately, encounters are rather rare in Tian Shan. However, he can be confident: in Kyrgyzstan, telling a woman that she has «camel eyes» is a very nice compliment...
Further down the mountain, his friend Kendjebaike leaves his family home to visit him on horseback. Once a month, through the vast snow-covered steppes, he makes this perilous journey to supply his comrade. A camel driver for four generations, Kendjebaike is the youngest of a family of fourteen children. He maintains the family heritage under the watchful eye of his mother Latiypa, with whom he shares the family home, and his wife Perizat, his eldest son Toko and his daughter Nurayim.
In 1991, the Kyrgyz satellite left Soviet orbit. However, although the country has been reviving its nomadic traditions since independence, the return to land privatization, far from the Soviet promise, has not been able to prevent the economic isolation of the rural world.
After serving in the army from 1982 to 1985, the father of the family recalls the time of the kolkhozes: «At the time, there was work for everyone. Today it?s much more complicated to find work! ».
The sovkhoz, which promised to abolish the economic isolation of nomads through agricultural cooperative systems, no longer exists and the privatization of land since 1991 has led to massive unemployment throughout the country: «It was very hard,» he recalls.
For his mother, formerly known as «Mother - Heroic» - a distinction awarded by the Soviet regime to all mothers with ten or more children - livestock is an element of social prestige that must be maintained.
Three years ago, Bolotbaike and Kendjebaike started producing camel milk. Unlike its beige desert cousin, only the brown long-haired camel that feeds in the mountains produces protein-rich milk with a high antimicrobial potential. Both men sell their production to the local shaman for medicinal and therapeutic use. However, the animal only produces a very small quantity every two years. A tedious work with time that the two friends will continue to carry out over the next few years.
Between nostalgia for the kolkhoz and the quest for freedom, Bolotbaike and Kendjebaike will perpetuate as long as possible this solitary and precious pastoral life.