Bhopal, l'empreinte Carbide
Dans la nuit du 2 au 3 décembre 1984 en Inde, la fuite d'un réservoir de l'usine américaine de pesticides Union Carbide de Bhopal libéra 40 tonnes d'isocyanate de méthyle dans l'atmosphère. Un nuage de gaz toxique à l'origine de plus de 20 000 décès, notamment chez les populations des bidonvilles situés aux abords du site, faisant de cet accident la catastrophe industrielle la plus meurtrière de l'histoire.
Une tragédie due à une mauvaise gestion du site et de son personnel qui allait bientôt lever le voile sur une seconde catastrophe. Entre 1969 et 1984, plusieurs milliers de tonnes de déchets toxiques solides et liquides furent stockés par la compagnie sur le site principal (347 tonnes)) ainsi que dans des zones de traitements des déchets situés aux abords de l'usine , au milieu de bidonvilles (entre 4000 et 12 000 tonnes). Ces zones mal confinées seront à l'origine d'une pollution des sols et d'une contamination de la nappe phréatique dans laquelle les habitants des bidonvilles puisent leur eau potable. Une problématique pourtant connue du management de l'entreprise qui avait été averti du danger de contamination des eaux souterraines dès le 21 juillet 1972 par le département d'ingénierie d'Union Carbide.
Une étude menée en 2009 par le Centre pour la Science et l'Environnement (CSE) de New Delhi rapportait un taux moyen de pesticides dans les eaux souterraines 12 fois supérieures à la limite maximale prévue par la loi. La découverte de pesticides moyennement persistants 25 ans après la fermeture de l'usine avait également montré que ces déchets agissaient comme des sources de pollution continue.
Résultats de cette double exposition au gaz et aux eaux contaminées, des dizaines de milliers de personnes, sur maintenant 3 générations, sont victimes de problèmes de santé souvent sévères. Un accord fût passé entre le gouvernement indien et la compagnie pour indemniser une partie des survivants du nuage de gaz à hauteur de 470 millions de dollars soit environ 25 000 roupies (500 dollars) par victime. Aucune indemnité n'a par contre été versée en compensation des problèemes liés à de la contamination des eaux. Les batailles menées par les associations de victimes avaient abouti, sur décision de la cour suprême indienne, à la mise en place en 2012 d'un réseau d'accès à une eau pure puisée à l'extérieur de la ville. Un réseau qui ne concerne malheureusement pas la totalité des zones exposées dont le nombre grandissant dépasse aujourd'hui les 42 quartiers.
Alors depuis plus de 30 ans, ONG et activistes tentent d'apporter une prise en charge aux très nombreuses victimes et de faire porter leurs voix devant la justice. C'est notamment le cas de la clinique Sambhavna et de la clinique pour enfants Chingari qui proposent des approches pluridisciplinaires aux victimes des deux tragédies. Yoga, physiothérapie, thérapie occupationnelle et médecine ayurvédique y sont proposées en accompagnement de la médecine moderne.
Comme beaucoup, Satinath Sarangi, activiste de la première heure et fondateur de la clinique Sambhavna accuse l'ensemble des gouvernements de complaisance envers la compagnie et face à des « citoyens de seconde zone » : « Les victimes du gaz de Bhopal sont considérées comme des populations sacrifiables car la moitié sont des musulmans et l'autre moitié est majoritairement composée d'hindous de basses castes »
Warren Anderson, l'ancien président d'Union Carbide Corporation qui avait échappé à la justice indienne en se réfugiant aux Etats-Unis est décédé en 2014 et la société a entièrement été rachetée en 2001 par The Dow Chemical Company qui rejette toute responsabilité. Difficile donc d'entrevoir la possibilité d'une indemnisation correcte des victimes et d'une décontamination des sites. Pourtant plus de 35 ans après la fermeture de l'usine, le drame écologique et humain continu.
Bhopal, Carbide's footprint
During the night of December 2 to 3, 1984 in India, the leakage of a tank at the American pesticide factory Union Carbide in Bhopal released 40 tons of methyl isocyanate into the atmosphere. A cloud of toxic gas caused more than 20,000 deaths, particularly among the slum populations on the site's outskirts, making this accident the deadliest industrial disaster in history.
A tragedy due to poor management of the site and its staff, which would soon lift the veil on a second disaster. Between 1969 and 1984, several thousand tonnes of solid and liquid toxic waste were stored by the company on the main site and in waste treatment areas located around the plant, in the middle of shantytowns (between 4,000 and 12,000 tonnes). These poorly confined areas will cause soil pollution and contamination of the water table from which the slum dwellers draw their drinking water. A problem that is well known to the company's management, which had been warned of the danger of groundwater contamination as early as 21 July 1972 by Union Carbide's engineering department.
A study conducted in 2009 by the Centre for Science and Environment (CSE) in New Delhi reported an average level of pesticides in the groundwater 12 times higher than the maximum limit provided by law. The discovery of moderately persistent pesticides 25 years after the closure of the plant had also shown that these wastes were acting as sources of continuous pollution.
As a result of this double exposure to gas and contaminated water, tens of thousands of people, over three generations now, are victims of often severe health problems. An agreement was reached between the Indian government and the company to compensate some of the survivors of the gas cloud to the tune of 470 million dollars, or about 25,000 rupees (500 dollars) per victim. However, no compensation was paid for the water contamination. The battles waged by the victims' associations had led, by decision of the Indian Supreme Court, to the establishment in 2012 of a network of access to clean water drawn from outside the city. Unfortunately, this network does not cover all of the exposed areas, whose number is now growing to over 42 neighbourhoods.
So for more than 30 years, NGOs and activists have been trying to provide care to the many victims and to bring their voices to justice. This is notably the case of the Sambhavna clinic and the Chingari children's clinic, which offer multidisciplinary approaches to the victims of both tragedies. Yoga, physiotherapy, occupational therapy and Ayurvedic medicine are offered in addition to modern medicine.
Like many, Satinath Sarangi, an early activist and founder of the Sambhavna Clinic, accuses all governments of complacency towards the company and towards "second-class citizens": "The victims of the Bhopal gas are considered to be sacrificable populations because half are Muslims and the other half are mostly Hindus of low castes".
Warren Anderson, the former president of Union Carbide Corporation who had escaped Indian justice by fleeing to the United States, died in 2014 and the company was bought out entirely in 2001 by The Dow Chemical Company, which rejects all responsibility. It is therefore difficult to see the possibility of proper compensation for the victims and decontamination of the sites. However, more than 35 years after the closure of the plant, the ecological and human tragedy continues.